vendredi 17 avril 2009

Violences faites au femmes Le silence s'effrite

Publié par Alterpresse le 06 mars 09

Les organisations féministes haïtiennes réalisent un travail conséquent dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes. La situation reste alarmante mais l'augmentation du nombre de cas rapportés est avant tout le reflet d'une avancée considérable : l'effritement du silence autour de cette question taboue qui touche en majorité les victimes dans leur milieu familial et le voisinage.

"La grande évolution, témoigne Magalie Marcelin, directrice de Kay Fanm, sont les résultats de la sensibilisation massive menée par les organisations féministes haïtiennes, avec un nombre de plaintes plus élevé. Nous assistons là à l'augmentation des dénonciations plus qu'à celle des actes de violence. Les femmes ne demeurent plus dans le silence comme auparavant, bien qu'une très grande majorité d'entre elles soit encore enfermée dans la peur et l'aliénation".

Selon les chiffres disponibles pour l'année 2008, la Sofa, Solidarité fanm ayisyèn, a répertorié 1430 cas de violences (psychologique, économique, physique et sexuelle) dans les 21 centres douvanjou de son réseau, pour 742 en 2006. La tendance, moins marquée pour les autres organisations, suit cependant le même schéma, confirmé par l'Uramel, l'Unité de recherche et d'action médicolégale-légale dans un rapport portant sur le premier semestre 2008 réalisé dans le cadre de la Concertation nationale contre la violence faite aux femmes.

Selon ce même document, le délai entre le moment du viol et la présentation à un centre d’accueil est en nette diminution depuis 2005. Alors, 45 % des cas de violences sexuelles étaient déclarés dans les 72 heures (délai maximum pour éviter la contamination par le VIH et les grossesses non désirées), pour atteindre les 80,2 % au premier semestre 2008. "C'est le signe que les femmes prennent conscience qu'elles ne peuvent rester dans le silence lorsqu'elles sont victimes de violences. Elles deviennent des actrices de la lutte", remarque Olga Benoit, coordinatrice de l'axe de lutte contre la violence faite aux femmes au sein de la Sofa. Auparavant, ces actes étaient systématiquement considérés d'ordre privé.

Mythes à démonter


Les formes les plus courantes de violences déclarées restent les violences conjugales, selon le dernier rapport de la Sofa, avec 82 % des cas pour 2008.

Aussi, "on a tendance à croire que c'est le contexte de crise politique qui explique le nombre élevé des actes, relève Magalie Marcelin. Pourtant, c'est parce que l'on a moins honte de dire que c'est l'État qui a fait violer, que ce sont les gangs, les bandits, plutôt que de dire que c'est son père, son oncle ou son cousin. Dans les cas que l'on reçoit, il y a beaucoup plus de voisins qui violent, notamment dans les cas de mineures". Les données recueillies par Médecins sans frontières France confirment cet état de fait, citant les domiciles et les lieux des activités domestiques comme ceux les plus fréquemment identifiés.

Selon le rapport de l'Uramel, le nombre de cas de mineures victimes de violences est à la hausse, compte tenu des chiffres récoltés pour le premier semestre 2008 comparativement à l'année 2005.

Pour Magalie Marcelin, la pauvreté économique est une des explications fondamentales à ce phénomène, avec comme conséquence une extension de la prostitution infantile.

Mais cette augmentation des cas de violences sur les mineures ne doit pas occulter celle dont souffrent les adultes, particulièrement en ce qui concerne les cas de viols. Il s'agit là d'un mythe à déconstruire, selon lequel "les gens perçoivent généralement qu'une femme adulte ne peut pas être violée. Or, une épouse peut se faire violer par son mari si elle n'est pas consentante au moment de l'acte, explique Magalie Marcelin.

Des avancées démontrées, des faiblesses persistantes


Les organisations de la société civile haïtienne, dont certaines ne reconnaissaient pas ce problème spécifique auparavant, ont intégré la problématique à leurs actions. Avant, "on disait que c'était un faux problème, importé du Nord, que seul le problème de la pauvreté des femmes existait", relate Magalie Marcelin. Aujourd'hui, la situation a radicalement changé pour l'éclosion d'une multitude d'initiatives et de projets qu'il devient presque difficile de coordonner.

Les organisations féministes demandent une plus grande responsabilisation de l'État mais saluent le travail réalisé par le Ministère de la condition féminine avec pour la première fois des programmes spécifiques. Un plan de lutte nationale contre la violence faites aux femmes a été publié en 2005 pour la période 2006-2011 et de nombreuses activités de sensibilisation du personnel de santé, judiciaire et policier ont été mises en place.

"Lors des dernières assises criminelles, Kay Fanm a accompagné 17 fillettes abusées sexuellement et nous avons obtenu la condamnation des 17 agresseurs, détaille Magalie Marcelin. Comme il n'y en avait pas du tout auparavant, ce n'est pas rien. Cependant, nous comptons 1500 cas (sur l'année 2008), et plus du tiers d'entre eux trainent dans les tiroirs des cabinets d'instruction.

Le 11 août 2006, un décret renforçait les peines en cas d'agression sexuelle. "Nous voudrions qu'une loi cadre existe, car le décret est fragile et pourrait être changé par n'importe quel gouvernement", plaide Olga Benoit, tout en saluant des résultats considérables : avant la publication du décret, le code pénal excusait le crime commis par un mari sur sa femme pour cause d'adultère.

"On a avancé sur la sensibilisation des juges, même si la corruption constitue toujours un obstacle majeur. Il va falloir que le Ministère de la justice se penche sur les frais des avocats", ajoute la directrice de Kay Fanm.

L'obtention du certificat médical, qui fait office de preuve dans la démarche judiciaire et devrait être délivré gratuitement par le personnel médical accrédité par l'état et le secteur privé, est quant à lui encore trop souvent délivré après paiement par certains membres du corps médical. "Les ressources pour accueillir et accompagner les femmes victimes de violence sexuelle sont très limitées dans le pays", remarque Olga Benoit, faisant notamment allusion à la disponibilité de kits antirétroviraux. "L'hôpital des Gonaïves, pourtant important, n'en dispose pas", illustre-t-elle.

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