vendredi 17 avril 2009

Carnaval en Haïti Une trêve, politisée quand même

Haïti a fêté le carnaval ce 7 mars, alors que la veille encore, les paris fusaient sur son (im)possible déroulement dans le calme. Jacmel, en province, s’est parée des atours sympathiques du carnaval traditionnel. Dans la capitale, Port-au-Prince, la guerre des gangs a pour l’occasion fait place à celle des décibels, laissant quand même 7 morts et 103 blessés.


Indiens, ailes mathurins, papillons, zombis, arabes, diables et bandes à pieds ont pilé, des campagnes au béton des villes, les terres d’Haïti. A Jacmel, cité tranquille du bord de mer, au sud du pays, c’est une ambiance bon enfant et folklorique qui a dominé les rivalités non pas entre bandes partisanes mais entre groupes carnavalesques. Raras (bandes à pieds), instruments traditionnels vaudou et train de chars animaient les cortèges de jeunes assoiffés de divertissement. Les petites marchandes tentaient de suivre le rythme, bras vissés à des brouettes emplies de chewing-gum, de bananes frites, de cigarettes et de rhum, indispensable.
Le carnaval ne profite pas qu’aux fêtards : «les petites marchandes vendent en un jour autant que pendant toute l’année », confie Anis Jean Gérard, enseignant à Jacmel. Si elle est un moment de trêve pour tous, la fête suit le pouls du pays. « L’année passée, à Jacmel, il n’y avait pas cette ambiance folle, c’était une période de fin de règne… ». « Les Jacméliens ne sont pas contents, précise Andris Ronald, lui aussi enseignant, car tout se prépare au dernier moment. Le gouvernement débloque des fonds trop tardivement. C’est révélateur du fonctionnement du pays ».

Chansons critiques

« Quelque soit la nature des problèmes, le carnaval est un espace que le peuple haïtien n’est pas prêt à négocier, confie Stéphane Malbranche, président du comité organisateur du carnaval à Port-au-Prince. C’est une des seules activités où on ne paie pas pour entrer », la seule où ont pu se retrouver les Haïtiens depuis les manifestations qui ont bouté Aristide du pays… au sortir du carnaval 2004. L’an passé, les couleurs de la fête étaient à la solde d’Aristide, dans un dernier élan afin d’éviter sa chute. Pour 2005, par le choix du thème « dantan’m sé kinan’m » (mon passé m’appartient), le gouvernement a voulu dépolitiser et éviter toute matière à récupération ou à corruption. Il a tenté de redonner le goût de la tradition plutôt que celui des décibels…
Dimanche, les gens avaient timidement foulé le béton, appréhendant une incursion des bandes armées. Lundi après-midi, les groupes restaient éparpillés. « La rue est exsangue. Si vous aviez vu l’année passée, elle était noire de monde, constate un passant, adossé à un pylône du Champ de Mars, près du Palais national. Avant, on participait activement au carnaval ; cette année, on est d’abord curieux de voir comment cela va se passer ». Mais dès vingt heures, lorsque les chars partis du Stade Sylvio Castor passent le stand de la télé nationale pour débouler sur le Champs de Mars, c’est par milliers que les carnavaliers ont vraiment pris possession de la rue, électrisés par les murs d’enceintes sur lesquels étaient perchés les groupes musicaux. Pour l’occasion, les carnavaliers ont reçus des t-shirt aux couleurs des quelques entreprises commerciales qui marchent dans le pays, transformant le défilé en marée d’hommes sandwichs.
La foule semblait se soulever d’un bloc, chemises en hélicoptère par-dessus la tête, au rythme des méringues, chansons de carnaval qui depuis un mois inondent les radios. Des chansons satiriques, extrêmement critique face au pouvoir, dont toutes les sphères sont visées. Papillon vole (Aristide est parti), Tortue pose (le Premier ministre Latortue attend que quelque chose se passe…), Macaque pose (Boniface Alexandre, le président de la transition, est décrit comme un macaque par les Haïtiens pour ses traits physiques), PNH pose (la police nationale d’Haïti), Minustah pose (la force des Nations unies) … et tant d’autres en ont pris pour leur grade. Ou encore, Si ou Kapab, rete, si ou pas Kapab, jete. (Si tu en es capable, reste, sinon laisse tomber), allusion à la situation politique du pays, au gouvernement mais aussi à la Minustah, ainsi sans doute qu’à tous les Haïtiens qui choisissent l’exil.

Un réveil pénible

« Personne, cependant, ne veut que le gouvernement loupe le coup des élections, souligne Andris Ronald. Même lorsqu’on critique, ce n’est pas une opposition. Mais jusqu’à présent, les plus pauvres n’ont pas senti de différence en leur faveur, le passage à l’acte est loin ».
Parfois quelques tirs - mais n’étaient-ce pas des pétards - ont accroupi la foule, mais dans les deux minutes qui suivaient, les décibels reprenaient la danse, et les danseurs leur assurance. Avec cependant plus d’hésitations à Port-au-Prince qu’en province, eu égard notamment aux menaces proférées par des chimères, les partisans violents d’Aristide, à l’encontre des fêtards. Le 7 février était pour eux le jour de l’investiture de l’ancien président, un jour de revendication, pas de carnaval. Certes, la ville était quadrillée par les forces de polices et la Minustah, qui, à défaut de chars, ont tenu une place de poids dans les défilés. Mais cela n’a pas empêché la « fête » de faire 7 morts par balles, dont quatre policiers et un journaliste, et 103 blessés, selon les comptes d’Haïti Press Network.
A une heure du matin, plus aucun son ne montait du Champ de mars, la ville semblait groggy. La fête finie, la vie, dure pour la majorité des Haïtiens, reprenait péniblement son cours.

InfoSud

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