vendredi 17 avril 2009

Les Haïtiens, soutiers du paradis dominicain (2006)

Exploitation, vexations et expulsions sont le lot quotidien des Haïtiens immigrés en République dominicaine. Ils y sont nécessaires à l’économie, mais ont le tort d’être noirs et pauvres. Les ultra-nationalistes dominicains veulent modifier la Constitution pour éviter toute intégration.

Le long du Prado Oriental, à la périphérie de Santo Domingo, la capitale dominicaine, un quartier à vocation résidentielle sort péniblement de terre. ça et là, quelques maisons en construction, sans portes ni fenêtres. Elles sont pourtant déjà habitées ou plutôt squattées par des migrants haïtiens. "De 300 à 400 familles haïtiennes vivent dans la zone, témoigne Phillomard Joseph, qui a mis sur pied il y a trois ans, dans ce quartier, le centre éducatif et le centre d’économie domestique dominico-haïtienne. 250 enfants sont enregistrés chez nous, mais nos locaux ne nous permettent pas d’en accueillir plus de 80."
Ces enfants sont fils et filles de migrants haïtiens, même s’il faut parfois remonter bien loin le fil des générations. Illégaux, les parents ne peuvent pas déclarer leur progéniture, qui dès lors apatride ne peut bénéficier du système scolaire dominicain. Pourtant, "le droit dominicain applique le jus soli (droit du sol) : toute personne qui naît sur le territoire acquiert la nationalité si l’un de ses parents est reconnu comme résident permanent. Mais si les parents ne se sont pas déclarés, il n’est pas possible d’enregistrer les enfants", précise Phillomard Joseph, dont l’association a aidé 20 personnes à s'établir et à déclarer 50 enfants. Non sans mal : la légalisation requiert un acte de naissance traduit et légalisé que nombre de Haïtiens ne possèdent pas même dans leur langue, une radiographie des poumons, un test de drogue et de sida, un garant sur le sol dominicain, un passeport avec visa… et donc l’argent nécessaire pour payer le tout, soit environ 11 000 pesos (265 €).

Accusés de "noircir la race"

Selon les chiffres disponibles, les Haïtiens seraient de 500 à 800 000 en République dominicaine, dont seulement 5 000 en situation légale. "Des rafles sont systématiquement organisées dans ces maisons, témoigne Phillomard Joseph, pointant du regard les environs déserts du Prado Oriental. Si les personnes ont de l’argent, elles reviennent quelques jours plus tard. Le trajet depuis la frontière coûte plus ou moins de 3 500 à 4 000 pesos (de 106 à 122 €)", une fortune pour elles qui ne décrochent qu'épisodiquement des journées de travail sous-payées sur un chantier ou qui vivent de la prostitution.
"C’est un cycle qui permet de renouveler la main-d’œuvre, analyse Colette Lespinasse, directrice du Groupe d’appui aux rapatriés et aux réfugiés (Garr). Lorsque les Haïtiens ne peuvent pas passer la frontière, les entrepreneurs se plaignent auprès de leur gouvernement d’être moins compétitifs sur le marché international, y compris haïtien. Lorsqu’on n’a plus besoin d’eux, on les expulse " Les bateyes, exploitations de canne à sucre, ont longtemps symbolisé le travail des Haïtiens en "Dominicanie". Aujourd’hui, "l’économie dominicaine est plus diversifiée, mais reste demandeuse de main-d’œuvre haïtienne dans les secteurs mal payés de l’agriculture, où 90 % des travailleurs sont haïtiens, de la construction, du tourisme…", explique Colette Lespinasse.
Beaucoup de Haïtiens, polyglottes, travaillent dans le tourisme, sur les chantiers des sites ou sur les plages. Ils sont ouvriers, tresseuses ou marchands ambulants. Les tensions sont dès lors fortes entre la demande de main-d’œuvre haïtienne et l’image du Haïtien envahisseur, dont la présence pousserait les Dominicains à émigrer pour trouver du travail aux États-Unis. La presse locale rend les Haïtiens responsables de "noircir la race". "Des organisations dominicaines luttent contre ces discriminations, mais la société est réticente à les soutenir, par peur de passer pour traîtresse à la nation", ajoute Colette Lespinasse. Socio-économique, la question est également très politisée et les propos à l’égard des Haïtiens, particulièrement virulents dans les milieux politiques nationalistes dominicains, qui souhaitent supprimer le droit du sol de la Constitution.

Refoulés en masse

Dès qu’ils ne servent plus, les Haïtiens sont expulsés en masse. "Ils sont souvent d’abord emprisonnés, témoigne Miguel Saint-louis, du Comité des droits humains de Belladaire, ville haïtienne collée à la frontière. Ils ne peuvent pas se changer, faire leur toilette ni même boire de l’eau potable. Ils arrivent parfois presque nus." Le gouvernement dominicain invoque l’absence de papiers de milliers d’immigrants pour les expulser, mais "il ‘rapatrie’ également des Dominicains en règle parce qu’ils sont noirs", poursuit Miguel Saint-Louis. La migration se greffe en effet sur une problématique identitaire vécue par les Dominicains qui, même lorsqu’ils sont noirs, se définissent comme indios oscuros (indiens foncés) et non comme negros (noirs), évoque une travailleuse sociale en République dominicaine.
Des femmes enceintes et des enfants composent aussi les rangs des expulsés. En 2005, 20 000 personnes ont été rapatriées. En 2006, ce chiffre était déjà atteint en octobre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire