vendredi 17 avril 2009

Un an après les émeutes, la faim est toujours là

Début avril 2008, les « émeutes de la faim » éclataient dans la ville côtière des Cayes, avant de s'étendre aux autres villes d'Haïti. Récupérées par le politique, infiltrées par des bandits, ces manifestations n'en étaient pas moins le signe du raz-le-bol d'une majorité de Cayens, éprouvés par les difficultés à se nourrir. Un an après, si le prix de certains produits de base a baissé, leurs revendications restent, et avec elles le découragement de n'avoir vu venir des autorités que des promesses.

Avril 2008, des milliers de personnes prennent la rue dans la ville des Cayes, dans le département du Sud. Les produits de première nécessité viennent de flamber. Les gens ne peuvent plus se nourrir. Karlo Edor, membre du Mupac, le Mouvement d'unité du peuple aux Cayes, est de ces gens qui manifestent pour faire entendre les revendications d'une population à bout de souffle. « J'ai participé vivement à la première manifestation. Quand j'ai vu que il n'y avait pas de guide dans le mouvement et qu'il y avait un décalage entre différents intérêt, j'ai pris mes distances ». La manifestation prend un tournant violent, infiltrée par des bandits. « Je voulais manifester pacifiquement », martèle Karlo. Des dépôts sont pillés, des banques saccagées, des institutions attaquées, comme les locaux de la Minustah, la force des Nations unies sur place, qui riposte en tirant sur la foule. Des hommes tombent de part et d'autre, sans qu'à ce jour la justice n'ait tiré au clair le déroulement des événements et les responsabilités de chacun. « Un an après, je suis découragé, car j'ai pris la rue avec corps et âme », témoigne Karlo.

Désillusion

Sur les marchés des Cayes, des marchandes d'œufs, d'abricots, de viande, se rappellent des années où elles venaient avec plus de produits au marché et repartaient les bras ballants. Aujourd'hui, elles viennent avec moins et quittent le marché sous le poids des invendus. « Le riz est redescendu à 180 dollars haïtiens le sac, au lieu de 300, témoigne Guerline, marchande au marché Kay fè. Mais pour nous la situation est plus difficile encore, car désormais les gens ont les moyens d'acheter un sac de riz qu'ils mettent chez eux. Nous ne vendons donc presque plus à la marmite. Nous demandons au gouvernement qu'on revienne au sac à 100 dollars », dit-elle avant de se retourner, l'air dépité, sur un sac de riz à moitié plein : « Il est là depuis 22 jours... ». D'autres marchandes ne veulent même plus donner d'informations sur la vente, en colère de ne jamais être entendues. « Ça ne sert à rien, allez piocher vos informations ailleurs », lancent-elles. La désillusion face aux élections est identique, et les seuls signent visibles des élections à venir sont comme ailleurs dans le pays les affiches représentant les candidat au sénat, les slogans et les pick-up qui les portent hauts et fort, au grand désintérêt de la population qui a décidément d'autres chats à fouetter.
« Ma mère a toujours été intéressée dans les affaires électorales, témoigne Jean-Claudi Aristide, responsable de l'information de la radio communautaire des Cayes Vwa Klodi Muzo. Aujourd'hui elle ne veut plus en entendre parler. Dans de nombreuses familles, vous trouvez la même désillusion ». Les cyclones de 2008 ont fait des dégâts aux Cayes, et avec eux les dysfonctionnements de l'aide censée les suivre. « Ce ne sont pas forcément les victimes qui en bénéficient, rappelle Yonel Myrtil, coordonnateur du Réseau Sud de défense des droits humains (RSDDH), et l'on assiste à un commerce par certains de l'aide alimentaire. La situation est dénoncée, mais rien n'est fait. Prenez des quartiers populaires des Cayes comme Savane, Deyè fò, Kasiel, Anba veritab, regardez comment les gens y vivent, c'est très dur ». Signe des illusions perdues des citoyens face aux recours qu'ils pourraient trouver dans les autorités, ce que le RSDDH définit comme son « plus gros défi prioritaire : la question de la vengeance populaire. En 2008, il y a eu beaucoup de cas. Il y a eu une petite baisse en fin d'année, mais depuis janvier jusqu'à aujourd'hui, cela a recommencé », relate Yonel Myrtil.

Structurer la contestation
Le désespoir n'a pas pour autant gagné. « C'est un calme apparent qui est là, témoigne Karlo. Il faut que des groupes organisent des mobilisations populaires pour chercher des solutions, des réponses aux revendications. Nous devons réaliser un travail de base pour construire une structure de lutte populaire qui soit un contre-pouvoir face au gouvernement, qui manque. Toutes les déceptions de la population participe de ce phénomène ».
Comme lors d'autres évènements sociaux marquants, on a pu assister à l'évanouissement des mouvements de lutte peu après les mobilisations. « La situation est plus grave aujourd'hui, rappelle Jean-Claudi Aristide. Des groupes et secteurs font des tentatives pour prendre la rue et continuer à poser ces questions, mais quand le problème fut posé en 2008, le gouvernement a par la suite donné des jobs, des petits projets aux gens actifs dans la mobilisation, ce qui l'a déforcée. Les gens ne sont donc plus dans la rue, mais la situation ne peut pas durer, car la part la plus importante de la population n'a rien vu changer pour elle », conclut-il.

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